J'avais quitté la maison un peu plus tôt dans la soirée. À vrai dire, je me demande bien pourquoi ma mère m'avait demandé de faire les courses dans ce quartier. Ben quoi, c'est vrai ! Depuis quand est-ce qu'un supermarché se trouve dans un coin aussi paumé ? Je sors un papier que maman m'avait glissé dans la poche avant de partir.
Papier toilette ? J'ai. Salade ? J'ai. Gingembre frais ? OK. Il me reste plus qu'à... ? Parler avec une certaine mademoiselle Rose, au deuxième étage de l'immeuble sis au 13, rue du Horla. Qui est cette Rose ? Aucune idée. Mais c'est maman qui le demande, alors ça doit être une bonne connaissance. Sinon, pourquoi m'aurait-elle envoyé faire la commission ?
L'immeuble en question est vieux. TRÈS vieux. Situé entre un chantier laissé à l'abandon depuis une bonne vingtaine d'années et une maison close, dont la lanterne rouge diffusait une étrange lueur sanglante dans le crépuscule, l'immeuble en question devait dater d'une période incertaine. Sa peinture défraîchie s'écaillait sur le crépi, laissant voir les briques nues de la bâtisse, briques sans doute toutes aussi vieilles que ladite bâtisse. Ses trois étages semblaient désert. Peut-être me suis-je gouré de baraque ? Le panneau "13" m'indique que c'en est pas le cas.
Je m'approche de la porte, qui ne semblait tenir que sur un seul gond. Une forte odeur d'urine imprégnait le couloir. Dans le hall d'entrée, je remarque un panonceau indiquant qu'il y avait "l'Amicale des joueuses de Bingo" au premier étage, ainsi qu'un Club Philatéliste au troisième. Mademoiselle Rose vivrait donc au second ? J'appuie sur le bouton d'appel de l'ascenseur et... Rien. En panne. J'aurais dû m'en douter... Je continue mon apnée en me dirigeant vers la cage d'escalier. Heureusement, la fragrance de pisse croupie s'est faite moins présente, donc je reprends mon souffle avant mon ascension.
Sur le palier du premier étage, une petite vieille, légèrement rondouillarde, s'occupe à balayer le palier. Je l'ignore royalement, la laissant toute à son travail. Je reprends ma montée, qui me semble incroyablement longue d'un seul coup. Je continue sur encore deux paliers, entouré par une tapisserie miteuse, puis j'arrive en nage devant une unique porte. Taillée dans un vieux bois que je n'arrive pas à reconnaître, elle semble aussi vieille que l'immeuble, si ce n'est plus. Dessus, il y a un vieux panneau avec, gravés plus que peints dessus, les mots "L'Association" dessus. L'Association de quoi ? Aucune idée, sans doute des férues de tricot... Parce qu'avec un prénom comme Rose, il faut s'attendre à tout et surtout n'importe quoi. Avant que je ne frappe dessus, l'huis s'entrouvre dans un léger grincement.
*Mon dieu, mais c'est quoi ce délire ?*, me dis-je en pénétrant dans les bureaux de cette mystérieuse Association.
Un large couloir plutôt lumineux se profile devant moi, et je m'empresse de m'y engager, la peur au ventre. Pourquoi est-ce que j'ai autant les chocottes, moi ? Soudain, je passe devant un bureau. La secrétaire, une dame d'un âge incertain, me regarde de bas en haut. Son chignon grisâtre encadre un visage austère et sévère, qui n'a sans aucun doute jamais souri. Vêtue d'un tailleur bleu nuit, la dame semble être la définition même du mot "secrétaire".
"Oui, que puis-je faire pour vous ?", me demande-t-elle après m'avoir elle aussi détaillé.
C'est vrai qu'avec ma dégaine, des sacs de courses dans les bras, n'était pas la meilleure idée. Porter un T-shirt "F*ck Autority" non plus. Et un jean noir déchiré par endroits encore moins. Mais c'est pas de ma faute si je ne trouve aucune sape potable en magasin !
"Euh... Je cherche une certaine Mademoiselle Rose..., que je réponds d'une petite voix. À vrai dire, le regard qu'elle me dardait quelques instants plus tôt faisait froid dans le dos. Pas moyen de plaisanter avec celle-là.
- C'est moi. Qu'est-ce qui t'amène ?
- Ma mère m'a dit de vous déposer un message...
Mais pourquoi est-ce que j'ai l'impression d'avoir fait une bêtise et que je me retrouve devant le CPE ?